Le Club Les Echos Prospective, en partenariat avec
Wavestone, recevait le 8 avril 2019
Emmanuelle Wargon, Secrétaire d’État auprès du Ministre d’État,
Ministre de la Transition Écologique et Solidaire, et
Sylvie Jéhanno, présidente directrice générale de
Dalkia, filiale du groupe EDF, pour débattre du thème :
« Transition énergétique : le temps des citoyens et des territoires ? ».
Les citoyens n’ont pas toujours été au cœur de la transition énergétique…
Il y a un peu plus de trois ans, la France recevait la quasi-totalité des chefs d’Etat de la planète à l’occasion de la Conférence de Paris sur les changements climatiques. Deux ans plus tard, en décembre 2017, le One Planet Summit marquait un nouveau temps fort et affirmait le rôle de leadership de la France dans une prise de conscience et un mouvement mondial pour prendre un virage radical quant à l’avenir de notre planète. Les Français applaudissaient à deux mains, une certaine forme d’union nationale semblait se dessiner pour œuvrer à un monde meilleur. Fin 2018, rien ne va plus… La crise des gilets jaunes vient brutalement nous rappeler que les Français ne veulent pas choisir entre la « fin du mois » et la « fin de la Planète ».
...Pourtant les citoyens se mobilisent pour la planète
Les premiers résultats du grand débat national présentés ce 8 avril 2019 font ressortir que :
- 86 % des français pensent pouvoir contribuer eux même à la transition énergétique (en agissant sur les transports et l’agriculture via leur alimentation)
- 72% ont la conviction de pouvoir réaliser des économies avec la transition énergétique (rénovation des bâtiments, facture énergétique)
Cependant et comme l’illustre le mouvement de « l’affaire du siècle » qui, après avoir recueilli plus de 2 millions de signature, a attaqué l’Etat pour inaction climatique, montre un certain scepticisme des citoyens envers les dirigeants et les politiques pour mener à bien ces changements.
Clément Le Roy, Senior Manager au sein du cabinet Wavestone, appuie ce constat en partageant les enseignements d’une étude réalisée en partenariat avec l’institut ELABE : «les Français font davantage confiance aux ONG, aux associations et collectivités qu’à l’État ou aux entreprises».
« La bonne nouvelle, c’est que tous reconnaissent l’urgence climatique. La mauvaise nouvelle c’est que le gouvernement n’a pas su répondre à la demande d’équité climatique des citoyens »
complète Emmanuelle Wargon.
Plusieurs écueils expliquent la dissonance actuelle
- Très mobilisées par la réforme territoriale, les collectivités locales et territoriales ne se sont pas assez emparées du sujet de la transition énergétique... Ainsi, on observe une montée en puissance des territoires à deux vitesses : tandis que l’Occitanie affiche l’ambition de devenir la première région à énergie positive d’Europe d’ici 2050, les Hauts de France refusent l’installation de nouvelles capacités éoliennes. Pourtant, la décentralisation du modèle énergétique ne se concrétisera que par une mise en mouvement conjointe des régions, métropoles et acteurs locaux.
- La restitution du grand débat national a confirmé le rejet par les citoyens des taxes comportementales et environnementales. Emmanuelle Wargon reconnait un manque de transparence et de pédagogie de la part du gouvernement dans sa communication au sujet de la taxe carbone. Ainsi, parce qu’une partie de l’argent collecté via la taxe carbone était destinée à l’équilibre des comptes publics, les citoyens l’ont perçue comme une manœuvre illégitime. Par ailleurs, elle forçait le changement avec un caractère punitif, sans donner de réels moyens d’action aux Français. Malgré tout, les citoyens sont en accord avec le principe de «pollueur-payeur ». Par conséquent, la question du signal prix sur la taxation devra être reposée à moyen-terme.
- La transition énergétique dans les territoires a jusqu’aujourd’hui souvent résonné avec gros projets, et ce au détriment des plus petits projets que portent citoyens et territoires (projets de production de biométhane à la ferme, par exemple). Mieux soutenus et favorisés par la PPE, les gros projets permettent d’accélérer l’atteinte de nos objectifs grâce à des effets de volume, mais n’ont jusqu’à maintenant pas suffisamment impliqué les citoyens dans leur phase de développement et se heurtent à des problèmes d’acceptabilité. Les citoyens doivent être placés au cœur des projets. Pour cela, le financement participatif devra être favorisé et les aides devront être adaptées de manière à parvenir à un bon équilibre entre les différentes typologies de projet.
Quels facteurs permettront d’enclencher une véritable dynamique vers la transition écologique ?
- « Soulager le citoyen le plus fragile ET l’aider à sortir de sa situation de précarité énergétique en rénovant son logement». Cette double-ambition de l’Etat passe, selon Emmanuelle Wargon, par :
- Poursuivre les efforts de communication sur les aides énergétiques. Si le chèque énergie aide déjà 6 millions de personnes, il pourrait bénéficier à un plus grand nombre, car son taux de mobilisation est de 85%. En d’autres termes,15% des bénéficiaires ne comprennent pas l’utilité de ce chèque et le jettent à la poubelle. Dans ce contexte, « ce qui marche, c’est quand les services sociaux de la commune travaillent avec des acteurs qui sont capables d’apporter la solution ».
- Simplifier l’accès aux aides à la rénovation énergétique. « Bien que la concentration des CEE soit un progrès important, nous sommes conscients de la complexité du système de financement actuel » souligne Emmanuelle Wargon (un dossier concerne parfois jusqu’à huit aides différentes). En parallèle, il est nécessaire de développer un réseau de tiers de confiance pour aider les citoyens à faire la différence entre des offres appuyées par des organismes publics comme l’ADEME et l’ANAH et celles de profiteurs malveillants.
- Développer les formations aux nouveaux métiers de la transition énergétique. Dalkia a créé plus de 2000 emplois dans la filière biomasse bois mais Sylvie Jéhanno déclare aujourd’hui «peiner à recruter des techniciens supérieurs dans les nouveaux métiers». En outre, l’innovation numérique et technologique devra être orientée vers le développement de nouveaux services et solutions acceptables par les citoyens et prenant en compte les spécificités et potentiels de chaque localité.
- Flécher les investissements et aides publiques vers des industries ayant travaillé à leur efficacité énergétique, plutôt que procurer un soutien artificiel non-soutenable. Les activités à forte intensité énergétique, dont le modèle économique dépend d’un bas coût de l’énergie, ne pourront être soutenues. Il est nécessaire d’orienter les investissements vers des activités dont le modèle économique a vocation à les rendre indépendantes. Par exemple, la reconversion d’une centrale charbon en biomasse ne doit pas s’effectuer au prix d’un financement issu à 85% d’aides publiques et d’une subvention de fonctionnement pendant 20 ans.
- Travailler de concert avec l’Union Européenne : toutes les taxes carbone (taxation du transport aérien, l’introduction d’une fiscalité contraignante dans la régulation financière, taxe sur les produits importés, etc…) ne peuvent être posées qu’à l’échelle communautaire. Elles devront notamment permettre de réinternaliser les externalités négatives dans les prix (émissions de gaz à effet de serre liés au transport et à la production, par exemple).
Face à un futur incertain, la France doit confirmer ses ambitions.
- C’est par l’exemplarité de nos actions que nous serons crédibles dans nos demandes envers les autres pays. La France grâce au nucléaire a une empreinte carbone faible par rapport à ses voisins européens (Pologne, Allemagne). Néanmoins, «nous ne devons pas nous contenter de ce bon point de départ pour imposer aux autres pays d’agir, nous devons également être exemplaires sur notre trajectoire» selon la Secrétaire d’Etat.
- Certaines questions demeurent aujourd’hui sans réponses et sont encore devant nous. Il nous faudra trouver comment «faire évoluer le système capitaliste par lui-même» afin de faire décroître l’investissement des banques dans les énergies fossiles. Concernant l’épineuse question du nucléaire, si l’Etat accompagne aujourd’hui la fermeture de certaines centrales nucléaires vieillissantes en concertation avec EDF, la question du « nouveau nucléaire » n’a pas encore été tranchée et sera au cœur de la prochaine campagne présidentielle.
Par
Clément Le Roy, Directeur, Clement.leroy@wavestone.com,
Marion Louage, Consultante, marion.louage@wavestone.com
et
Jérémy Pontif, Consultant, jeremy.pontif@wavestone.com