Le 29 novembre 2018, le Club Les Echos en partenariat avec Wavestone et Favart recevait Jean Beunardeau, Directeur Général de HSBC France autour de la question : « Croissance, montée des risques, quels enjeux ? ».
Diplômé de l’Ecole Polytechnique, Jean Beunardeau choisit les Télécoms comme école d'application. Il réalise son stage à Londres au sein du Crédit Agricole, où il apprend à modéliser les risques.
Début des années 90, il rejoint le Ministère des Finances ; Il prend en charge le service des télécoms et du logement avant de rejoindre le Trésor Public.
En 1995, appelé par Alain Juppé à Matignon il enchaîne les dossiers : privatisation de la CGM, fusion Air France-Air Inter.
En 1997, il intègre le Crédit Commercial de France pour faire du conseil en « M&A ».
Trois ans plus tard, HSBC rachète le Crédit Commercial de France. Depuis 2012, Jean Beunardeau est Directeur Général d’HSBC France.
Comment se porte la croissance économique mondiale et européenne ?
Jean Beunardeau souligne l’existence d’une croissance mondiale diversifiée tirée par la Chine et les Etats-Unis.
L’Europe, après des années de croissance très faible accélère son rythme depuis deux ans avec l’Allemagne, le rebond de l’Espagne du Portugal, de la France et des pays du Nord.
On retrouve partout une croissance économique forte, diversifiée, et tirée par des secteurs décorrélés. Cette croissance n’est pour autant pas homogène : la technologie, la santé et les énergies renouvelables sont des secteurs qui se portent bien. A l’inverse, d’autres secteurs sont challengés par les transformations digitales, la transition énergétique ainsi que les modes de consommation.
Des secteurs disruptés ? ce n’est pas nouveau : il y a des progrès techniques à faire à chaque époque, l’important est que cela arrive à un moment où il y a assez de dynamique pour absorber les coûts de la transformation et pour faire les investissements nécessaires en formation et accompagnement social.
L’Europe et la France dans cette dynamique de croissance ?
D’après Jean Beunardeau, on constate un ralentissement temporaire de la croissance ces derniers mois, sans doute lié à l’augmentation du prix du pétrole. En France, cela représente 10 milliards de moins sur 12 mois. A cela s’ajoute la transformation de l’industrie automobile, surtout en Allemagne. Toutefois, depuis deux ans, la croissance est bien orientée et l’ensemble des banques le constate dans leurs chiffres. A titre d’illustration, HSBC connaît un rythme de croissance de plus de 10% par an, de la demande de crédits d’investissement, qui n’a pas ralenti ces derniers mois.
4 risques peuvent peser sur la croissance
Le premier risque est le développement depuis 25 ans de la Chine sans cesse ignoré par l’Occident. Le pays connaît une nouvelle étape qui consiste à passer d’une économie qui avait été nourrie par l’exportation de gamme moyenne et les infrastructures, en une économie qui se nourrit d’elle-même, de consommation de services et de technologies. Cette transformation se poursuit et peut être mise en danger par la guerre commerciale qui est en cours entre la Chine et les Etats-Unis. Il n’y a pas de réponse tranchée à cette question. Selon Jean Beunardeau, le total des exportations de la Chine vers les Etats-Unis représente 3,6% du PIB chinois, ce qui est certes important, mais une guerre commerciale ne serait pas de nature à interrompre net ce moteur de croissance.
Ce changement de modèle chinois doit même être considéré par les occidentaux comme une opportunité pour bénéficier de la croissance de ce pays : fabriquer en Occident pour exporter en Chine afin de réduire le déséquilibre commercial.
Le deuxième risque évoqué est le retournement du cycle américain. Le cycle actuel dure depuis longtemps, les salaires commencent à augmenter depuis 18 mois, le chômage a baissé et le taux de participation au marché de l’emploi a également commencé à remonter depuis quelques mois, ce qui servira à nourrir une étape supplémentaire de ce cycle. Selon Jean Beunardeau, il est encore tôt pour parler d’un retournement du cycle américain, du moins pour les 18 prochains mois.
Le troisième risque correspond au Brexit qui pourrait créer une discontinuité dans le flux de marchandises dans l’investissement et dans la consommation entre le Royaume-Uni et l’UE. Par conséquent, cela produirait un effet récessif, mais pas de nature à remettre en cause la dynamique de croissance mondiale.
Enfin, le quatrième risque correspond à l’éventualité d’une nouvelle crise financière. Selon Jean Beunardeau, lorsqu’on cherche la crise, il faut chercher la dette systémique insolvable ou alors solvable mais qui ne peut être refinancée. Pour que ce soit une véritable crise, il faut également qu’il y ait un effet de chaîne qui se répande dans l’ensemble de l’économie. Pour l’instant, il n’existe pas de dette insolvable. La dette immobilière, la dette Leveraged Buy-Out, la dette étudiante et la dette de certains états ne semblent pas représenter de danger systémique majeur.
Toutefois une crise de confiance est possible, d’où l’importance d’avoir un discours confiant des gouvernements et des banques centrales sur le développement économique.
Concernant les effets de chaîne, les réformes bancaires ont limité la probabilité de leurs effets systémiques à l’intérieur du secteur financier. Les banques sont soumises à des contraintes prudentielles fortes. Les capacités de résolution des faillites bancaires par les superviseurs semblent désormais solidement établies.
Une éventuelle crise financière peut-elle bloquer la croissance ?
Pour Jean Beunardeau, ce n’est pas la crise financière qui peut bloquer la croissance mais la manière dont on sort du Quantitative Easing. Il est toujours très difficile de faire remonter les taux sans générer de ralentissement économique.
Au sein de la zone euro, il y a un discours de fin du Quantitative Easing. Les marchés n’ont encore pas intégré ce discours, et si cela devait se produire, on serait en risque d’ajustement un peu brutal du prix des actifs obligataires.
Mais un ajustement du prix des actifs n’arrête pas immédiatement la croissance, cela génère un peu de discontinuité dont il ne faut pas s’inquiéter. Il faut parfois ajuster les prix des actifs à la baisse. Ils ne peuvent pas toujours être extrêmement chers car cela pourrait nuire au développement économique. Il faut réguler le prix moyen des actifs par la politique monétaire.
Quid de l’équation économique française ?
La France est un pays en déficit budgétaire et en déficit extérieur. Parce qu’on a choisi l’ajustement lent qui socialement est plus facile à supporter mais dont le rebond est plus différé, ce qui pose un problème.
Néanmoins, une trajectoire très clairement dessinée de redressement de l’économie française est en cours.
Jean Beunardeau souligne un autre sujet : on rend compte assez mal de la qualité de vie qui s’améliore en France dans le PIB. Les dépenses contraintes et prélèvements obligatoires contribuent à créer un décalage entre la réalité du niveau de vie et la perception du pouvoir d’achat.
Ce décalage doit être absorbé par la croissance, un effort à la baisse des prélèvements obligatoires, afin de permettre à chacun de retrouver une marge de manœuvre sur son revenu.
Conclusion
La croissance mondiale est forte et pérenne, et les risques potentiels ne semblent pas de nature à remettre en cause cette dynamique.
Les transformations digitales et énergétiques actuelles impactent de nombreux secteurs et leur imposent de recourir à des crédits d’investissement.
Sur le plan économique cela présente l’avantage de poursuivre la dynamique de croissance par l’investissement.
Toutefois, l’économie devrait être rééquilibrée un peu plus vers les fonds propres et un peu moins vers la dette pour créer moins de fragilité et plus de capacité de développement durable et de capacité de résistance à la volatilité. Et là-dessus, l’Europe a bien des progrès à faire.