Le 21 novembre 2013, le club Les EchosDébats en partenariat avec Kurt Salmon,recevait Louis Gallois, Commissairegénéral à l’investissement, autour du thème : « L’innovation, clé de la compétitivité ». Originaire de Montauban, diplômé d’HEC et de l’ENA, Louis Gallois a notamment occupé les fonctions de directeur de cabinet auprès de Jean-Pierre Chevènement au ministère de la Recherche et de la Technologie, puis au ministère de la Défense. Il fut ensuite PDG de la Snecma et d’Aérospatiale. En 1996, il est nommé par Alain Juppé pour diriger la SNCF, puis par Jacques Chirac en 2006, pour prendre la co-tête d’EADS pour en garder seul la présidence en 2007.
Aujourd’hui, exactement un an après la publication du « pacte pour la compétitivité de l’industrie française » dont il fut chargé, quel bilan faire de ce pacte, quel état de l’industrie française, quels sont les défis face à la crise et comment renforcer la compétitivité et l’innovation des entreprises françaises ?
En préambule, Louis Gallois dresse un premier bilan du pacte et constate que l’ensemble des 35 mesures ont été mises en oeuvre par les ministères, notamment sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (20 milliards d’euros, soit un point de PIB), la réforme des aides à l’innovation, la réforme des aides à l’exportation, l’amorce de la transformation de la formation professionnelle,…
Le défi actuel du pacte est de maintenir la cohérence et l’avancement de cet ensemble, et de l’inscrire dans la cohérence gouvernementale. En effet, ces points doivent s’articuler avec l’accord national interprofessionnel, les 34 plans industriels du ministère du redressement productif ainsi qu’avec les 7 grandes ambitions à fort impact économique de la commission « Innovation 2030 » et le nouveau programme d’investissements d’avenir, disposant de 12 milliards d’euros. De manière transversale, cette cohérence s’articule autour de 3 axes thématiques : la technologie numérique, la santé et l’économie du vivant, et la transition énergétique et écologique.
Néanmoins, le pacte ne peut être réalisé sans son inscription dans un environnement macroéconomique favorable en termes de réformes, sur les retraites, l’assurance-chômage, les prélèvements obligatoires et la dépense publique. Pour relancer la croissance indispensable à ces réformes, l’Europe doit passer à une phase d’investissements après avoir lancé une cure d’austérité massive à laquelle la France a pu échapper.
Pour Louis Gallois, la compétitivité passe par l’attractivité qui elle-même dépend de la visibilité que l’on est capable de donner à moyen et long terme. Cette visibilité s’appuie sur deux leviers : la simplification et la stabilité fiscale. La simplification, engagement présidentiel très attendu, doit être mise en oeuvre. Celle-ci ne signifie pas toujours dérégulation. Des règles doivent exister mais elles doivent être simplifiées pour qu’elles soient lisibles, visibles et stables. Cela s’applique, bien sûr, à la fiscalité.
Concernant cette dernière, Louis Gallois considère que la dégradation de la compétitivité n’est pas seulement le fait des impôts mais aussi de la hausse des salaires par rapport aux gains de productivité. En effet, la différence par rapport à l’Allemagne, du coût du travail entre 2000 et 2010 est due, pour un tiers, aux prélèvements obligatoires, et pour deux tiers, aux augmentations de salaires. Il est néanmoins légitime que les chefs d’entreprises s’expriment sur le coût du travail et le MEDEF est dans son rôle de demander moins de fiscalité, même si le chiffre avancé de 100 milliards d’euros (estimation faite sur le coût des prélèvements sociaux et fiscaux qui pèseraient en trop sur les entreprises de France) paraît peu réaliste dans la situation économique actuelle.
L’élément essentiel n’est pas le coût du travail
Le plus important est la reprise de l’investissement et de l’innovation. La vraie reprise se constatera d’abord par celle de l’investissement industriel. L’Allemagne est sortie de l’étau de la compétition par les prix. Aujourd’hui, on n’achète pas une voiture allemande parce qu’elle est moins chère mais parce qu’elle est de qualité. Louis Gallois pense que la France dispose de l’appareil de recherche et de la capacité d’innovation pour monter en gamme.
Louis Gallois a ensuite présenté, au fil des questions posées par le public, un large spectre d’enjeux pour favoriser la compétitivité française.
L’importance d’aider les startups françaises à grandir
La France dispose d’une recherche publique puissante. Elle se place souvent parmi les 5 premiers mondiaux, pratiquement sur tout le champ de la recherche et notamment dans les mathématiques et le numérique. De nombreuses startups sont créées en France mais il est difficile de les faire croître. Pour les développer, Louis Gallois identifie plusieurs leviers. Les financements : le capital investissement a beaucoup baissé à cause de règles prudentielles qui ont conduit les banques et les assurances à se retirer. Les levées de fonds ont diminué de moitié (de 12 Md € à 6 Md €), alors que c’est un levier essentiel pour la croissance des entreprises ; les programmes d’accompagnement des laboratoires à créer des entreprises grâce à la valorisation de la recherche, l’aide à l’amorçage, le capital-risque, le capital développement et puis ensuite éventuellement l’accès en bourse ; le soutien aux transmissions d’entreprise pour lequel le dispositif Dutreil doit être conservé ; la fiscalité, qui doit favoriser le risque plus que la rente, même si culturellement, l’épargne française est fondée sur la rente.
Le soutien à l’usage du numérique et à la formation professionnelle
Si Xavier Niel envisage de créer une école du numérique, c’est qu’il existe une insuffisance d’ingénieurs formés à l’utilisation du numérique. Ce soutien est nécessaire dans une époque où l’innovation qui caractérise le numérique a changé complètement de vitesse et où une transformation des mentalités sur le numérique est également à opérer. Il existe en effet une coupure entre les + et – de 35 ans. Pour les uns, le numérique est un outil, pour les autres il est un « prolongement du bras ». Cette coupure entre deux générations se retrouve dans la société française. Des enseignements pourraient être tirés de l’expérience de la Corée du Sud, pays qui a entièrement basculé dans le numérique et l’innovation.
Louis Gallois rappelle que le programme d’investissements d’avenir consacre 3,5 Md € au numérique sur trois thématiques : le très haut débit ; les technologies du numérique (Systèmes embarqués et objets connectés, cyber sécurité, calcul intensif et simulation, cloud et big data) ; les usages du numérique (territoires de soins numériques, e-education, MOOCS).
L’enjeu est de pousser notre société vers le numérique. Pour Louis Gallois, le numérique c’est « Gutenberg + la machine à vapeur » et tout cela à une vitesse de réalisation sans comparaison avec ce qui a été connu dans le passé.
Le soutien aux petites et moyennes entreprises
Différents moyens sont identifiés pour les soutenir. D’une part, la nécessité d’atteindre rapidement (2015) l’objectif des 2 % de marchés publics consacrés aux PME technologiques et innovantes. D’autre part, la création et l’utilisation des supports d’épargne adaptés aux PME. L’accès des PME à des compartiments spécifiques du marché des actions, le contrat euro croissance pour l’assurance vie et le PEA PME, produit attractif pour les particuliers mais qui devra l’être également pour les banques. Enfin, des actions telles que celles-ci devront permettre de conduire les PME vers des ETI. Il faut créer une dynamique de développement des entreprises pour les aider à croitre, exporter et faire de la recherche.
Louis Gallois conclut sur les conditions de création de la confiance dans l’économie. Celleci nait de la visibilité à long terme, qui ne peut exister sans stabilité. Pour obtenir cette confiance, la politique du gouvernement doit être clairement affichée et persévérante au fil des années. C’est tout l’objectif, par exemple, du programme d’investissements d’avenir, créé sous une majorité et prolongée sous une autre.