Le 18 avril 2013, le Club Les Echos en partenariat avec Kurt Salmon recevait Jean-Paul Bailly, Président-directeur général du groupe La Poste autour du thème : « L’entreprise : quelle place dans la société d’aujourd’hui et de demain ? ».
Polytechnicien et diplômé d’un master en sciences du Massachusetts Institute of Technology, Jean- Paul Bailly a l’expérience des grands groupes français et du service public. Il a commencé sa carrière à la RATP en 1970 dont il est devenu PDG en 1994. Entre 1997 et 2001, il assume parallèlement la présidence de l’Union internationale des transports publics (UITP) puis devient Président Directeur Général du Groupe La Poste en 2002. Le dirigeant incarne aujourd’hui la Politique du Changement dans une des plus anciennes entreprises française. En dix ans, le Président du Groupe a doté la société d’une structure bancaire spécifi que, à travers la Banque postale en 2006, il a pris l’initiative en 2008 du projet d’ouverture du capital du groupe, il a signifi cativement redressé ses résultats fi nanciers et a su transformer l’entreprise et l’adapter à son environnement en pleine mutation.
Sa « formule magique » pour manoeuvrer avec agilité le premier employeur français après l’Etat ? Trois ingrédients essentiels : du travail de terrain, de la concertation et l’adhésion des parties, ainsi que la capacité à savoir « taper du poing » lorsque c’est nécessaire.
Pour répondre à la question « L’entreprise : quelle place dans la société d’aujourd’hui et de demain ? », Jean-Paul Bailly décrit l’exemple de La Poste, ses défi s et ses enjeux dans un environnement en complète mutation et dans un climat social difficile.
« La Poste c’est 1% de la France »
La Poste est à l’image de la France : l’entreprise embauche 1% des français actifs, son Chiff re d’Aff aire représente 1% du PIB français et les proportions de CSP et de femmes embauchées sont à l’image de celles du pays, tout comme ses enjeux et ses défis.
Par ailleurs, l’entreprise représente paradoxalement un service public connu de tous et une entreprise que les français connaissent fi nalement assez mal dans ses ambitions, son fonctionnement et son organisation. La Poste n’est pas « à la remorque des fi nances publiques » mais vit de ses ventes, de ses services et de ses conseils. C’est une entreprise internationale (17% du Chiff re d’Aff aire est réalisé hors des frontières) qui est au coeur de l’activité économique du pays (85% du courrier traité est adressé par les entreprises) et qui a un rôle essentiel dans le développement du e-commerce. Surtout, La Poste est investie d’une réelle mission sociale dans la société Française : elle est très souvent le premier employeur local, elle travaille sur la diversité, sur les emplois d’avenir, et plus de la moitié des recrutements sont en alternance. De plus en plus de centre d’appels sont par exemple volontairement créés en France et dans des petites villes. Par ailleurs, l’entreprise investit de manière conséquente sur le territoire, (de l’ordre de un milliard d’euros) et prête beaucoup d’attention aux PME (La Poste a été classée meilleure entreprise dans les relations avec les PME).
« La mission d’une entreprise comme La Poste est de faire vivre son écosystème et son territoire, et cela devrait être la mission de toute entreprise, d’être un acteur positif sur son territoire, car c’est du territoire que l’on tire toutes nos ressources »
Le triptyque qui pilote la stratégie de La Poste est le suivant : une bonne Santé économique, la Satisfaction du client et le Bien-être au travail. Ces trois sujets étant au même niveau et complémentaires les uns des autres.
Pour maintenir une bonne Santé économique et continuer à satisfaire ses clients, La Poste a du se transformer et s’adapter au changement tout en améliorant sa qualité de service.
Le Groupe a investi 3,4 milliards d’euros entre 2003 et 2011 pour se moderniser et détient aujourd’hui l’outil logistique de courrier le plus efficace d’Europe. Il a également su tirer profit du phénomène de « destruction créatrice » inhérent à la transformation de la société en investissant d’autant plus en colis express (dont la croissance de 5,6% par an est portée par le e-commerce) que le déclin du marché du courrier se faisait sentir. En dix ans, le nombre de colis envoyé en est passé de 500 millions à un milliard, ce qui fait de La Poste l’une des quatre seules entreprises au monde à gérer plus d’un milliard de colis par an.
Cette stratégie a porté ses fruits : malgré la chute inexorable des envois de courriers postaux, les résultats fi nanciers de l’entreprise qui étaient négatifs dans les années 90 sont devenus plus que confortables pour une entreprise qui n’a pas vocation à « maximiser son chiffre d’aff aire » mais à être « en bonne Santé » (depuis 2008 le résultat est chaque année compris entre 600 et 800millions d’euros, soit une marge comprise entre 3 et 5 %). Jean Paul Bailly défi nit ce résultat comme le « bon niveau » de performance dans la mesure où il lui permet de remplir les contrats passés avec les clients, les fournisseurs, l’Etat et les investisseurs en proposant des services de qualité, en fi nançant les investissements courants, en payant les dettes et les taxes et en versant des dividendes.
Dans les années 90, La Poste a manqué l’opportunité du colis express, en revanche, le groupe n’a pas fi ni de se transformer, et ne souhaite pas, cette fois-ci, manquer l’opportunité de la montée en gamme du digital. Ses aspirations à long terme sont à présent de développer le B-to-C, dont la croissance a jusqu’à présent été moins manifeste que celle du B-to-B, et de repenser le service à domicile, qui constitue une réelle opportunité de marché selon Jean Paul Bailly.
« La différence entre un facteur et une personne lambda qui dépose un colis, c’est que le facteur peut entrer chez les gens en toute confi ance et ainsi proposer ses services »
La reverse logistique constitue un enjeu formidable du e-commerce et la nécessité d’un opérateur capable de l’assurer au quotidien, d’avoir le contact avec le client fi nal, pour gérer les logistiques retour au travers d’un réseau maillé national. La Poste reste l’acteur majeur et le mieux positionné sur ce type de service. Par ailleurs, pour assurer la cohésion du groupe et contribuer au Bien-être au travail, le Groupe est très actif dans le développement du territoire, à travers sa Banque qui participe au financement des collectivités territoriales et par son réseau de bureaux de poste étendus dans toute la France. Pour mener à bien ce projet, l’entreprise a su organiser et tirer profi t de la concertation et la cohésion des parties. Les 200 000 postiers français, les élus et les consommateurs ont été impliqués ou sollicités dans l’élaboration du plan stratégique pour établir une organisation décentralisée et responsable sur le territoire français.
« On ne peut pas avoir une organisation décentralisée quand les énergies ne sont pas alignées »
Finalement, la raison d’être de l’entreprise au 21ème siècle est de contribuer au développement responsable de la société : au développement économique, au développement du territoire, et au bien-être des femmes et des hommes qui y travaillent.
Apres avoir terminé son exposé, Jean Paul Bailly a répondu aux questions des participants et notamment à celle de Philippe Menesplier, associé Kurt Salmon, qui l’interrogeait sur les solutions de La Poste pour faire face au défi du « dernier kilomètre » (le plus coûteux pour les entreprises de livraison) et sur son appréhension de la concurrence dans ce domaine.
L’intuition du dirigeant est que l’utilisation de la boite aux lettres va progressivement disparaitre au profi t du service à domicile et de la livraison de colis express, La Poste travaille actuellement sur les opportunités que cela implique. Un exemple concret de la détermination du Groupe dans ce sens est la décision de remplacer une partie de sa fl otte de deux roues par des Quads électriques, qui en plus d’être écologiquement économes, seraient plus adaptés à la livraison de colis encombrants et lourds.
Il remarque que La Poste peut être un acteur décisif sur toute la chaine de valeur du e-commerce, en France et à l’international, depuis l’aide à la construction des sites à l’aide fi nancière, en passant par la logistique amont, le paiement, la distribution classique et la gestion de retours.
En ce qui concerne la concurrence sur le marché du courrier, elle ne constitue pas une menace selon Jean Paul Bailly dans la mesure où le marché du courrier est en déclin et que les barrières à l’entrée sont très élevées pour de nouveaux acteurs sur le territoire français.
Par Philippe Menesplier – Associé philippe.menesplier@kurtsalmon.com