Le 15 octobre 2015, pour sa 45
ème édition, le Club Les Echos en partenariat avec
Kurt Salmon recevait le Président du Directoire de
Publicis Groupe,
Maurice Lévy, autour du thème : «
Ubérisation ou transformation ? »
Publicis en quelques mots
Maurice Lévy a pris la Direction Générale du Groupe au milieu des années 70 et en a fait un grand groupe mondial, en s’appuyant sur deux éléments majeurs :
- La faculté de suivre l’internationalisation des groupes français.
- La politique d’acquisition menée par le groupe, dont les réussites sont nombreuses
Aujourd’hui, suite à l’acquisition de Sapient (groupe spécialisé dans le marketing et la communication numériques), Publicis réalise près de 10 milliards € de chiffres d’affaires et emploie près de 80 000 personnes, malgré un contexte de marché difficile.
Quand les nouveaux venus cassent les codes
La globalisation de l’économie et la révolution digitale entraînent des ruptures, qu’elles soient brutales et remettent en cause les business models, voire la survie, de certaines entreprises ou plus « souterraines » et interviennent à plus long terme. Maurice Lévy insiste sur le fait qu’il est primordial de prendre conscience que toutes les fonctions dans l’entreprise, tous les types d’entreprise et tous les secteurs peuvent être sujets à l’ubérisation.
Il est intéressant de comprendre comment des entreprises se font « ubériser » et comment un nouveau venu rend caduque le système en place. Car il ne s’agit pas simplement de prendre un tournant : les nouveaux venus sont capables de casser les modèles mais aussi d’attirer les capitaux et de transformer un système ou un secteur économique.
Des modèles de communication très différents en fonction des acteurs digitaux
Le modèle de communication d’Uber s’appuie sur la provocation : rejeté à son arrivée sur un nouveau territoire, alors qu’il propose un modèle de service supérieur, Uber s’appuie sur l’adhésion des consommateurs à son modèle afin que soit admise cette qualité de service en rupture.
Airbnb, client de Publicis, se repose sur un modèle différent : Internet et le buzz, conduisant au bouche-à-oreille. Contrairement aux idées reçues, le modèle d’airbnb est très professionnalisé. Chaque semaine ont lieu des réunions de groupes pour identifier les points forts et faibles et axer la communication en fonction. A ce jour, 90% de leur budget est investi sur Internet.
La nécessité de « s’auto-ubériser » pour les grands groupes historiques
Prendre conscience du risque ne signifie pas que l’on va réussir à aller jusqu’au bout de sa transformation mais il n’est pas question non plus de s’arrêter à un set de mesures de base. Pour se transformer, il faut s’interroger sur les fondamentaux de son métier pour les faire évoluer et être ainsi en accord avec le « nouveau monde ». C’est un exercice difficile car cela implique de transformer les habitudes, les modes de travail. Cela peut conduire à une façon de travailler moins coûteuse, entraînant des réductions d’effectifs, et impliquer en parallèle des investissements massifs.
Maurice Lévy insiste sur la dichotomie entre la volonté de l’entreprise et les attentes du marché. L’entreprise peut avoir la volonté de se transformer mais le marché peut le lui interdire en privilégiant les résultats à court terme.
Une ubérisation parcellaire du secteur de la publicité
Maurice Lévy explique qu’il existe des « Uber » de la publicité mais sur de petits segments, notamment le programmatique. De plus, il reconnaît que l’on peut assister à une dispersion des efforts : les annonceurs peuvent passer par plusieurs petits prestataires. Ceux qui ont essayé ont toutefois réalisé qu’ils perdaient l’essence de la marque et sont donc revenus à des pratiques plus classiques tout en exigeant de Publicis de transformer ses offres et modes de fonctionnement pour fournir, de façon intégrée, des réponses innovantes.
Des outils qui doivent encore évoluer pour satisfaire au besoin actuel de vitesse
Avec le phénomène d’ubérisation, l’avantage n’est plus à la taille mais à l’agilité : ce sont désormais les entreprises les plus rapides qui « mangent » les entreprises les plus lentes.
Pour prendre un exemple interne, Publicis est en train d’installer un ERP global pour renforcer la cohérence dans la gestion et permettre d’aller plus vite dans l’analyse et la prise de décision. Maurice Lévy précise bien que cela n’est pas suffisant : il faut reconnaître qu’il existe encore des lourdeurs et qu’il est nécessaire d’inventer des outils se basant davantage sur la mobilité et l’agilité.
Une cartographie de la concurrence qui a évolué
La concurrence de Publicis est devenue multiple : Accenture propose la refonte de systèmes CRM et gère des programmes de marketing ; EY achète une agence digitale... Publicis ne transformera jamais l’entreprise sur ses fondements industriels ou économiques, mais il ne se sent pas menacé par les cabinets de conseil ou les acteurs de niche dans sa capacité à intégrer, dans une stratégie de communication cohérente, l’ensemble des services qui accompagnent les transformations marketing et du commerce, y compris la refonte des SI correspondants.
Dans cette optique, Publicis fait régulièrement des investissements dans des sociétés innovantes, comme par exemple l’acquisition de Lucid, une société d’intelligence artificielle qui a accumulé 30 années de comportements d’individus à travers le monde pour comprendre comment ils se comportent face à certaines situations et normes.
Croissance des investissements sur mobile et respect de la vie privée : une impasse pour le secteur publicitaire ?
Il existe en effet deux phénomènes apparemment contradictoires :
- D’un côté, la progression exponentielle des investissements publicitaires sur mobile. En 2017, il y aura plus de publicité sur mobiles que dans toute la presse quotidienne et hebdomadaire et, en 2020, la publicité digitale dépasera la publicité TV.
- D’un autre côté, le rejet de tout ce qui est considéré comme intrusif par les consommateurs et la réglementation.
A cela s’ajoute la question de la propriété des données individuelles. Nous sommes au début d’une ère qui va révolutionner la vie des gens et Maurice Lévy considère qu’il est de la responsabilité des publicitaires de rester vigilants et de rejeter tout ce qui peut avoir trait à une intrusion.
Règles de base d’un leadership durable dans une ère digitale
La seule règle valable selon Maurice Lévy est de se remettre en question en permanence pour savoir :
- Si l’entreprise est positionnée sur des activités durables
- Si les clients ont toujours des raisons valables de faire confiance à Publicis
- Si les atouts fondamentaux de l’entreprise sont sains et durables
Le numérique comme moyen d’affiner la notion de ROI
Ce n’est pas une question nouvelle, les publicitaires ont toujours cherché à avoir un feedback. Jusqu’à présent, le message était un peu « perdu » dans la nature car il fallait de nombreux sondages et réunions de groupe pour savoir si une campagne avait fonctionné. Aujourd’hui, on peut mesurer les réactions des consommateurs en temps réel. En revanche, il n’est pas encore possible d’identifier les robots en temps réel ni de savoir comment les gens reçoivent l’information (on sait ce qu’ils font avec le contenu mais on ne sait pas comment ils sont arrivés sur ce contenu ni ce qu’ils en pensent).
Google, concurrent ou partenaire ?
Google se positionne aujourd’hui comme un partenaire incontournable en particulier dans le domaine du search et dans le domaine de la vidéo avec Youtube. Toutefois, comme Facebook d’ailleurs, Google essaie d’avoir des relations directes avec les clients et y parvient dans une certaine mesure. Mais pour tout ce qui touche au contenu, à la stratégie, à la marque ou à la manière de toucher le consommateur, il n’a pas encore les compétences et le rôle de Publicis reste indispensable. Il est également très important de noter que, contrairement à Google, Publicis a une neutralité totale par rapport aux médias qu’il est amené à recommander à ses clients.
La position de la France face au phénomène d’ubérisation
Maurice Lévy mentionne la qualité de la formation académique des chercheurs, mathématiciens ou informaticiens français, mais note que la France et l’Europe ont laissé passer un premier train de la révolution numérique en se montrant incapables de faire naître une entreprise globale dans le numérique. Nous avons désormais des pôles universitaires et de recherches comme Massy qui n’attendent plus que des venture capitalists afin d’éviter que les start-up françaises ne soient reprises trop tôt par des investisseurs étrangers.
Au-delà de la menace, l’ubérisation de notre économie oblige donc les acteurs historiques à revoir leurs modes de fonctionnement pour se transformer en profondeur, cette remise en question leur permettant de délivrer une qualité de service supérieure et de résister à la montée en puissance des nouveaux acteurs.
Par
Philippe Burucoa, Associé philippe.burucoa@kurtsalmon.com
et
Blandine Dubois Defréville, Senior Consultante blandine.duboisdefreville@kurtsalmon.com