Patrick Pouyanné, Président Directeur Général du groupe Total, était l’invité du Club Les Echos en partenariat avec Wavestone, Favart et Robert Half le 12 décembre 2018 sur le thème : « Total : quels atouts, quels défis face à la transition énergétique ? ».
Arrivé à la tête du groupe à l’automne 2014 dans un contexte extrêmement rude, après la disparition tragique de Christophe de Margerie et un cours du baril de pétrole en chute libre, ce diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole des Mines de Paris, au service du Groupe depuis 20 ans, a su user de ses capacités hors du commun pour replacer l’entreprise sur le chemin de la croissance. Les résultats parlent d’eux même : alors que Total accusait 10 milliards de pertes de liquidités par an à son arrivée, il a ramené le point mort de 100 dollars par baril à seulement 40. Mais l’entreprise ne s’est pas contentée de redresser son activité, elle a également mené une stratégie d’acquisition offensive ces deux dernières années, en particulier sur le périmètre des services et des nouvelles énergies (Saft, Eren RE, Greenflex, BHC, Direct Energie, Lampiris, Clean Energy, PitPoint…), la plaçant en haut des classements dans cette catégorie.
Aujourd’hui, Total nourrit de grandes ambitions en matière de transition énergétique avec un objectif de 20% de son portefeuille en activité bas carbone d’ici à 2035.
Les inducteurs principaux de la transition écologique sont son coût et son rythme.
Alors que la volonté de l’Etat d’alourdir les taxes sur le carburant a récemment entrainé des tensions sociales en France, Patrick Pouyanné a tenu à rappeler la nature incompressible des dépenses d’énergie dans le budget des ménages : l’enjeu principal de la transition énergétique est donc de combiner les objectifs a priori antagonistes d’énergie propre et bon marché. Selon lui, la réponse à cette équation se trouve dans le rythme à laquelle la transition est menée, car celle-ci coûte cher. Si le changement de système énergétique ne peut passer que par l’assignation d’un prix aux polluants, Total soutient une fiscalité écologique redistributive, afin d’expliciter le lien entre cause et usage de la taxation.
Bien qu’une fin des énergies fossiles ne soit pas envisageable à court terme, le marché de l’énergie évolue et Total cherche à se positionner, notamment sur le gaz naturel et l’électricité.
Le marché pétrolier est depuis plusieurs années en faible croissance et une décroissance n’est pas exclue. Dans ce contexte, Total cherche à se positionner sur des activités de pétrole résilient, et à baisser ses prix, notamment au travers d’investissements au Moyen- Orient, où la production est peu coûteuse.
Le gaz naturel constitue également un levier de croissance intéressant : Total a ainsi acquit les activités d’Engie dans le domaine, pour devenir numéro 2 mondial avec 10% du marché du GNL. Utilisé pour produire de l’électricité, il présente une complémentarité efficiente avec les énergies renouvelables et permettrait de répondre à l’augmentation de la demande dans un contexte d’électrification de l’économie. L’entreprise s’est ainsi positionnée sur le marché de l’électricité et représente aujourd’hui 4 millions de clients en France, avec l’ambition de croître.
Le gaz naturel ouvre aussi à de nouvelles opportunités : il trouve notamment des applications intéressantes dans le transport maritime, où Total a conclu un accord avec CMA-CGM pour développer des porte-conteneurs fonctionnant au gaz naturel liquéfié. Ces innovations ont aussi eu un écho chez les croisiéristes, qui y trouvent d’autres avantages, notamment la réduction du bruit des moteurs.
Au global, ce ne sont pas moins de 25% des investissements de Total en 2019 qui seront destinés au gaz naturel et à l’électricité bas carbone.
Total souhaite capitaliser sur la confiance historique des Français en sa marque éponyme, en la combinant avec le positionnement marketing bon marché des fournisseurs alternatifs qu’il a acquis.
Le Groupe mène de nombreuses enquêtes sur la perception de ses marques. Alors que la marque Total est vue comme fiable mais chère, des marques telles que Direct Energie et Lampiris sont vues comme jeunes, dynamiques et économiques, avec néanmoins un indice de confiance plus faible. Le défi à relever est donc de combiner ces deux positionnements. Total investit massivement dans le digital, en particulier pour l’acquisition client et les processus industriels. Le Groupe dépense 400 millions de dollars par an dans le digital et compte maintenir cet effort, considérant une disruption par un concurrent comme possible. Le modèle de développement commercial de Total, basé sur le digital, est peu coûteux et permet de baisser le prix final des produits. Le digital est également un atout fort pour la fixation des prix, en particulier pour la prise en compte de l’inflation.
Pour répondre aux problématiques économiques des consommateurs dans un contexte où l’énergie est amenée à devenir plus onéreuse, Total s’engage à les guider vers des moyens de l’économiser.
Le Groupe Total mène une réflexion profonde sur les vecteurs d’économie d’énergie pour les entreprises et les particuliers, notamment au travers de sa filiale Greenflex. Patrick Pouyanné propose à ce titre une piste concrète sur le remplacement des chaudières à gaz : en effet, les modèles de dernière génération permettent une économie moyenne de 30% par rapport aux anciens modèles. D’autre part, il met en lumière l’importance du chantier de l’efficacité énergétique des bâtiments, à la fois créateur d’emplois et facteur de réduction de la consommation.
Total propose des mesures d’accompagnement pour trouver un rythme de transition énergétique acceptable par la société.
Patrick Pouyanné invite à garder une approche pragmatique et réaliste de la transition énergétique et met en garde face au facteur émotionnel qui peut générer, in fine, une forme d’inaction et des effets secondaires néfastes : il cite à ce titre l’exemple de l’Allemagne, qui, souhaitant sortir du nucléaire rapidement, a nui à la mise en place d’une politique européenne de l’énergie, faisant apparaitre aujourd’hui un risque géopolitique de dépendance vis-à-vis d’entreprises non européennes dans l’infrastructure énergétique.
A cela, il préfère des mesures concrètes et réalisables : ainsi, alors qu’à l’heure actuelle 1,5 millions de français qui se chauffent au fioul pourraient être facilement raccordés au gaz naturel au vu de leur proximité du réseau, Total a lancé une étude sur ses 700 000 clients fioul et se dit prêt à investir dans les travaux d’infrastructure nécessaires à la transition, avec une réduction des prix pour les clients à la clé.
Total peut aussi jouer un rôle dans l’aménagement du territoire au travers de son réseau de stations-service.
Le Groupe, qui s’est engagé à ne fermer aucune station, a pour objectif de permettre à 9 français sur 10 de se rendre en moins de 10 kilomètres de l’une d’entre elles. Concernant les bornes de rechargement pour véhicules électriques, Patrick Pouyanné prône un maillage intelligent : il ne sert à rien d’équiper toutes les stations car les bornes seraient inutilisées, il faut en revanche offrir des possibilités de rechargement à domicile et dans les parkings des bureaux, de façon à exploiter les périodes d’inactivité des véhicules. C’est une réflexion menée par Total à l’heure actuelle, qui s’est en parallèle engagé à fournir des bornes de rechargement tous les 150 kilomètres, pour répondre au besoin des clients souhaitant parcourir des moyennes et longues distances.
Des méthodes de management innovantes peuvent favoriser la réduction de l’impact carbone de l’entreprise.
Total cherche à traduire sa stratégie d’évolution du mix énergétique dans un index qui reflète l’intensité carbone des produits qu’il vend. Cela peut passer par des rémunérations incitatives du management, à condition que les critères qui les constitue soient bien compris par les personnes concernées et qu’elles aient le sentiment de pouvoir agir dessus.
Dans un avenir non exempt d’énergies fossiles à court terme, les technologies de captation du CO2 sont incontournables pour atteindre les objectifs de limitation du réchauffement climatique.
L’instrument le plus efficace pour capter le CO2, aussi bien techniquement qu’économiquement, est la forêt : en effet, le coût de l’entretien forestier correspondant à la captation d’une tonne de CO2 est inférieur à 10€. Total compte ainsi investir fortement dans ce domaine dans un futur proche. D’autre part, le Groupe accorde 10% de son budget de recherche et développement à l’innovation en technologies de captation et est membre d’une alliance de pétroliers investissant 1 milliard de dollars sur le sujet.
Par Stéphane Denolle, Partner stephane.denolle@wavestone.com
et Thomas Reveleau-Maréchal, Consultant thomas.reveleau-marechal@wavestone.com