Méka Brunel, Directrice Générale de Gecina, était l’invitée du Club Les Echos Débats en partenariat avec Wavestone, Favart et Robert Half le 11 avril 2019 sur le thème : « Immobilier, quelles révolutions à l'œuvre ? ».
Ingénieure franco-iranienne diplômée de l’ESTP, Méka Brunel est Directrice Générale de Gecina depuis 2017. La foncière, cotée au SBF 120, investit et gère des actifs immobiliers, dont 97% exclusivement à Paris et en Île-de-France. Avec environ 20 milliards d’euros d’actifs sous gestion, Gecina est la quatrième foncière européenne et la première en immobilier de bureaux. Elle investit également dans le logement, traditionnel et étudiant. Gecina est une société opérante, propriétaire d’actifs qu’elle transforme, rénove et met en location. Elle crée des espaces de vie et, de ce fait, peut anticiper les révolutions des modes de vie.
L’urbanisation, l’accessibilité aux nouvelles technologies et l’urgence climatique sont les trois tendances lourdes que connait le secteur de l’immobilier depuis 20 ans. Gecina répond à ces (r)évolutions par différents leviers.
L’urbanisation, et plus précisément la métropolisation autour des transports publics, dans des espaces permettant la mixité des usages (activité économique, lieux de vie, services, loisirs, etc.) est une tendance mondiale : à horizon 2050, plus de 70 % de la population mondiale habitera en ville. Pour y répondre, Gecina développe une stratégie de rendement global en concentrant sa gestion dans certains quartiers, créant des clusters proches les uns des autres et offrant une mixité d’usage : bureaux, logements, restaurants, mais également espaces de co-working, auditoriums et salles de réunion partagées.
La seconde révolution est l’accessibilité aux nouvelles technologies. Elle permet une diversification de notre façon d’appréhender le travail et une évolution des modes de vie : Uber, WeWork ou AirBnb ne s’adressent pas à un usager mais à un client. Ces profondes évolutions impactent les start-ups comme les grandes entreprises. Pour Gecina, il s’agit de passer d’une relation propriétaire/locataire à une réflexion tournée vers le client final, qui sont les personnes vivant dans les logements (famille du signataire du bail, colocataires, …) ou travaillant dans les bureaux (salariés). Gecina a ainsi réorganisé ses services pour répondre aux attentes de ses 100 000 utilisateurs.
Pour Méka Brunel, cette révolution entraîne de nouvelles façons d’appréhender le travail de Gecina, qui passe du « B to B » au « B to B to C », voire au « B to H », H représentant l’Humain qui est remis au centre des réflexions. L’immeuble de bureau devient un outil stratégique et un levier pour les entreprises dans leur transformation et leur recherche de talents.
Répondre au défi numérique c’est donc, pour Gecina, non seulement transformer ses métiers et former ses collaborateurs, mais également accompagner ses clients finaux. Dans cet esprit, Gecina a d’ailleurs transformé son siège en l’adaptant à ces nouveaux modes de travail.
La troisième tendance, c’est l’urgence climatique, qui s’impose à tous et exige des actions concrètes. L’immobilier est un secteur très polluant et l’objectif pour Méka Brunel, est de « réparer au mieux ce qui a été mal fait ». Sur ce sujet, Gecina articule son activité autour de 4 piliers que sont le bien-être, la biodiversité, l’économie circulaire et le bas carbone, et porte ces efforts sur les nouveaux projets comme sur les actifs existants. La foncière a par exemple souhaité faire de « Live », l’ancien siège de Peugeot situé avenue de la Grande Armée, un exemple d’économie circulaire avec une baisse d’émission de CO2 correspondant à celle de 258 vols Paris-New York. On peut aussi citer la participation de Gecina à un Think Tank européen sur la RSE et l’Innovation, ainsi qu’à deux fonds actifs dans les secteurs de l’immobilier et de la ville durable : Fifth Wall Venture et Paris Fonds Vert.
La hausse des prix – dans le secteur du logement – n’est pas une fatalité mais une question d’offre
L’offre actuelle ne répond pas aux problématiques d’urbanisation et d’évolution des structures familiales (de plus en plus de familles recomposées). En dehors du logement social, l’immobilier est principalement détenu par des personnes physiques profitant des mesures fiscales permises par l’Etat et les institutionnels se sont éloignés de ce secteur. En conséquence, il n’y a pas d’offre locative décente et de masse. Pourtant, les logements détenus par les institutionnels présentent des avantages : bail de 6 ans au lieu de 3, capacité à faire d’importants travaux énergétiques, etc. Ainsi, Gecina, plus grand propriétaire privé de logements à Paris, a prévu un plan pluriannuel de travaux pour ses logements de l’ordre de 140 millions d’euros.
L’immobilier de bureau présente des caractéristiques différentes. La centralité est primordiale et il n’est plus question de s’installer dans des endroits éloignés du centre de Paris. Avec la densification des postes, l’amélioration de la qualité des immeubles et la transformation des usages, parler de « loyer au m² » n’a plus de sens : il faut raisonner en loyer par poste de travail.
Limites du Flex Office et du télétravail
Beaucoup d’entreprises américaines abandonnent le Flex Office, qui engendre du stress mais peu de résultat, puisque généralement, les collaborateurs s’asseyent au même endroit chaque jour. L’impact positif sur la productivité de l’entreprise reste par ailleurs à démontrer. Le Flex Office a du sens pour certains métiers comme celui de consultant, mais les collaborateurs de nombreux services « traditionnels » ont besoin d’une place attitrée.
De la même façon, beaucoup d’entreprises abandonnent le télétravail. De nombreuses femmes l’utilisent pour pouvoir continuer leur carrière tout en s’occupant de leur famille, mais en cela, elles s’éloignent de la capacité à évoluer dans l’entreprise. Le télétravail éloigne aussi de la culture de l’entreprise : faisant ce constat, IBM y a mis fin dans la région new-yorkaise et a réservé de nombreux espaces WeWork pour permettre aux salariés de travailler ensemble.
La question de la rentabilité de l’immeuble vert est un non-sujet pour Gecina
Lorsque la loi Amiante de 1996 est apparue, de nombreuses entreprises se sont inquiétées des investissements à réaliser et de l’impact sur leur rentabilité. La question ne se pose plus aujourd’hui. De même, avant le Grenelle de l’Environnement, les commercialisateurs considéraient que les immeubles pouvaient être vertueux et très chers ou des passoires énergétiques abordables. À la suite du Grenelle, les loyers des immeubles vertueux ne paraissaient plus si inabordables. Nos sociétés ne reviendront pas en arrière et ne pas investir dans l’immeuble vert, c’est détruire de la valeur.
Gecina réfléchit aux manières de rafraîchir les intérieurs tout en limitant l’impact climatique
Il n’y a pas de réponse immédiate à cette problématique car les technologies demandent de l’électricité et émettent donc du CO2, mais des solutions existent. Ainsi, la technique de la termitière permet de rafraîchir l’air en rejetant peu de chaleur et de CO2, et les « tours à vent », inventées en Iran, permettent une convection naturelle.
Le taux de vacance à La Défense est en diminution et la rénovation des tours répond à la demande
Il est indispensable de rénover les tours première génération, énergivores, peu efficaces et peu agréables. Mais il faut également créer des usages multiples, comme le fait la Métropole du Grand Paris autour de ses gares. La réversibilité des bureaux en logements peut être une solution mais elle n’est pas toujours évidente ni agréable (absence de balcon, d’espace vert, …). Il faut d’abord simplifier le Code de la Construction et de l’Habitation et arrêter de construire des bureaux dans chaque ville. Les normes actuelles sont en effet contradictoires et trop coûteuses, comme le prouve la difficulté à respecter les normes PMR (Personnes à Mobilité Réduite) au sein des immeubles dépendant des Bâtiments de France. On observe cependant une réelle prise de conscience de la nécessité d’un équilibre dans les usages, d’une qualité urbaine et d’un mode de vie commune.
Gecina développe plusieurs initiatives pour améliorer la qualité des immeubles et des services à employer
En interne, Gecina a créé un poste de directeur exécutif de la RSE et de l’Innovation. Un des souhaits de Méka Brunel est, par ailleurs, de développer son propre fonds CO2. Celui-ci lui permettrait de compenser en interne les émissions de CO2, après avoir fait le constat qu’elle avait peu de visibilité sur les activités réalisées par le fonds de compensation.
Enfin, Gecina développe des partenariats avec des start-ups ou PME dans certains secteurs comme les services, les solutions CRM, les technologies dont la 5G ou celles qui pourraient impacter la commercialisation.
Par Etienne Vendeville, Manager etienne.vendeville@wavestone.com
et Aurore Penilla, Consultante aurore.penilla@wavestone.com